Lâchez-moi avec mon poêle à bois!

Mylène Moisan, Le Soleil, 7 février 2023

CHRONIQUE / Neuf. C’est le nombre de jours où on a noté un smog hivernal à Québec en 2021, donc une concentration de particules fines qui vient polluer l’air de la ville.

Ça en laisse 356 sans.

Et à en croire le rapport du Groupe de travail sur les contaminants atmosphériques à Limoilou, les poêles à bois sont l’ennemi à abattre, ceux du Québec et au-delà, même jusqu’aux États-Unis, le vent y charroyant la poussière jusque sur ma galerie et celle de mes voisins sans se déposer nulle part en chemin ni au-delà.

Il aurait fallu qu’on décrive comment fonctionne le «corridor de vent» dont il est question dans le rapport et qu’on m’explique pourquoi une telle quantité de poussières de smog viendraient se poser précisément dans le quartier après leur long périple, comme les oies blanches à Cap-Tourmente au printemps.

Terminus à la station d’analyse de l’air du Vieux-Limoilou, une de celles où on enregistre les taux les plus élevés de particules fines.

Drôle de hasard.

FOURNIE PAR INITIATIVE CITOYENNE DE VIGILANCE DU PORT DE QUÉBECFOURNIE PAR INITIATIVE CITOYENNE DE VIGILANCE DU PORT DE QUÉBEC

Même chose pour les contaminants émis par les automobiles, les camions, le sel de déglaçage, les chantiers de construction, qui sont présents partout en ville et souvent moins à Limoilou qu’ailleurs, mais qui par un effet mystérieux de centrifugeuse s’y retrouvent en plus grande concentration que partout en province.

Ce n’est pas le rapport rendu discrètement public mardi dernier, à 19h dans une salle du Château Laurier, qui éclairera notre lanterne vu que le groupe n’a procédé à aucune analyse des données qu’il a colligées au fil des présentations qui lui ont été faites. On nous confirme tout au plus qu’il y a de la pollution dans l’air, comme de l’amour dans le pré.

Le collègue François Bourque écrivait samedi qu’il manquait d’ailleurs les données de stations d’analyse de la qualité de l’air, que des entreprises ont refusé de les communiquer au groupe de travail pour qu’il puisse avoir un portrait plus précis de la composition de la soupe.

Il manque autre chose.

On a parlé d’un rapport faisant 1200 pages, 1213 pour être exact, mais du lot, 182 contiennent la synthèse rédigée par le groupe de travail. Les quelque 1000 pages suivantes sont en fait la reproduction des présentations des différents intervenants. Tous, sauf un. Vous ne trouverez pas le portrait brossé par l’Initiative citoyenne de Vigilance du Port de Québec qui, justement, apportait des réponses sur la provenance des contaminants.

On y retrouve entre autres des cartes du territoire incluant le secteur Beauport du port et les quartiers limitrophes avec des flèches indiquant la quantité de particules soufflées par les vents.

C’est l’évidence.

Remarquez, même si le groupe de travail n’a pas fait l’exercice de traquer la poussière, c’est aussi l’évidence pour lui que le Port de Québec est un généreux fournisseur de particules dans la soupe de Limoilou. C’est évidemment le cas pour le nickel transbordé par Glencore, qui se retrouve dans le quartier à des concentrations parfois effarantes.

Mais il n’y a pas juste du nickel, comme le confirment les 75 capteurs installés sur des résidences – dont la mienne – qui mesurent en temps réel les particules fines. «Les données confirment que les taux de PM2.5, notamment, sont importants dans le secteur Limoilou. Les taux estimés par le biais du réseau Limoil’Air dépassent de façon régulière ceux suggérés par l’Organisation mondiale de la santé, avec des pics fréquents qui sont d’une durée de quelques heures, à fréquence répétitive, sur certaines périodes horaires, ou de façon récurrente de façon ponctuelle, à la semaine ou au mois», lit-on dans le rapport.

Pas juste les jours de smog hivernal.

Ça a fait 10 ans en octobre que Limoilou s’est réveillé recouvert de poussière rouge et que le Port de Québec, ce jour-là, avait reconnu que ça venait de chez lui. Dix ans qu’il se démène comme un diable dans l’eau bénite pour minimiser sa part de responsabilité dans la pollution de l’air de Limoilou, dix ans que ses locataires continuent de polluer.

Le Port n’a pas voulu l’admettre en cour dans le recours collectif qui s’étendait sur la dernière décennie, il a réussi à rouler le juge dans la farine en prétextant que seulement une infime partie de la pollution lui était imputable, reste à voir ce qu’en pensera la cour d’appel où la cause a été portée cet automne.

Si le Port et ses locataires n’y sont pour rien, comment expliquer alors que le groupe de travail ait proposé une série de mesures pour améliorer la qualité de l’air qui les vise précisément? On demande de faire encore plus d’efforts pour réduire davantage les poussières qui s’échappent pendant les opérations, c’est qu’il s’en échappe trop.

Même le Port et Glencore, dans leur grande mansuétude, plaident qu’ils ont dépensé des millions au cours des dernières années pour saupoudrer moins de poussière sur les citoyens de la basse-ville. Dans la présentation faite au groupe de travail, Glencore dit ainsi avoir investi «50-55M$ […] depuis 2013 dans des mesures d’amélioration continue visant à réduire les émissions de poussières fugitives provenant de ses activités.»

Voyez l’hypocrisie, on assure tout mettre en œuvre pour régler un problème dont on nie être responsable. On continue à faire semblant de n’avoir rien à se reprocher même si les concentrations de contaminants atteignent encore des niveaux dépassant de loin les normes établies, même si, visiblement, les mesures sont insuffisantes.

Quand va-t-on arrêter de tourner autour du pot? Pardon, du port?

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